Pierre des Diablerets

En 1985, lors des travaux de terrassement pour la construction du centre communal, un bloc erratique (rocher n'appartenenant pas au site géologique sur lequel il repose et amené généralement par un glacier) est découvert. Un fragment de ce bloc est remis au musée géologique pour examen.

Le 27 janvier 1986, le Musée géologique nous informe que ce bloc erratique est un calcaire d'âge très probablement urgonien, provenant des Hautes Alpes Calcaires, c'est à dire des massifs de l'Argentine (Diablerets).

Dès lors, la Municipalité décide immédiatement d'écrire à sa collègue de la Commune d'Ormont-Dessus.

1. Lettre du 3 février 1986

   • de la Municipalité de Belmont-sur-Lausanne

   • à la Municipalité de la Commune d'Ormont-Dessus

   Monsieur le Syndic, Messieurs les Municipaux, Chers collègues,

   A la suite d'événements aussi soudains qu'inattendus, nous nous voyons dans l'extrême obligation responsable de nous rapprocher de votre très honorée Municipalité des Diablerets.
   Tout d'abord, permettez-nous de vous expliquer par le menu la teneur de ces événements sans omission, animés d'un pur esprit intercommunal, avec en point de mire la farouche volonté de ne rien vous dissimuler.
   Le temps de ce préambule protocolaire nous a permis, Messieurs, de réunir toute l'énergie nécessaire pour vous expliquer nos préoccupations.

   Voici donc les faits :

   A fin 1985, notre honorable Conseil nous a autorisé la construction d'un Centre communal sur une propriété nous appartenant. Qui dit Centre communal, par le temps qui court, dit aussi abri P.C. avec poste de commandement. Ce qui oblige dans ces cas-là des creuses plus importantes et des surprofondeurs. Nos travaux de terrassement ont débuté dans l'allégresse générale et l'optimisme. Hélas, aujourd'hui c'est la consternation.
   Notre trax, en fin de journée, a tout d'abord mis à jour une pierre parfaitemement à sa portée. Le lendemain, le machiniste compétent, attaque la pierre devenue, au fil des minutes, bloc; s'acharne, pour enfin déclarer forfait à la suite d'un combat glorieux et magnifique.
   Le surlendemain, une machine de plus grande capacité est mise en action; ce n'est pas de trop, car le bloc est devenu énorme. Si énorme qu'il en est devenu erratique - oui !!! Il nous inquiète. Qui est-il ? Un échantillon est dépêché au Musée de géologie à Lausanne auprès de Monsieur Weidmann, son très dévoué directeur.
   Après quelques jours, impatients, nous recevons le résutat de l'analyse. Et bien, Messieurs, à notre très vive stupefaction et consternation, ce bloc vous appartient de plein droit ! Il est votre propriété car il provient des Hautes Alpes calcaires, c'est à dire du massif des Diablerets, d'âge urgonien du crétacé inférieur, période géologique située à la fin de lère secondaire (3ème division du temps géologique), succédant au primaire d'une durée de 125 millions d'années. Eh bien ! dire que votre commune a perdu depuis si longtemps un joyau si précieux - c'est vraiment terrible.

   
   En séance de Municipalité, nous avons décidé de vous rendre grande justice en vous invitant chaleureusement à venir rechercher votre patrimoine égaré, odieusement sequestré par notre sous-sol glouton.
   Oui, Messieurs et chers collègues, décemment nous ne pouvons plus longtemps garder ce qui ne nous appartient pas. Venez récupérer votre bien. Peut-être, avant, une visite s'impose sur le site, car l'objet, d'une densité de plus de 2,6, est estimé à 30 m3 au moins et pèse entre 70 et 80 tonnes.
   Notre Municipalité in corpore est prête à vous accueillir pour discuter des modalités et bien entendu prendre le verre de l'amitié autour de ce géant des Diablerets.
   A bientôt - n'hésitez pas !
   En attendant, nous vous présentons, Monsieur le Syndic, Messieurs les Municipaux, nos plus cordiales salutations.

   Signé : B. Janin, Syndic et R. Tuchschmid, Municipal des bâtiments

2. Lettre du 10 février 1986

   • de la Municipalité de la Commune d'Ormont-Dessus

   • à la Municipalité de Belmont-sur-Lausanne

   Monsieur le Syndic et Messieurs,

   Votre honorée du 3 février écoulé nous est bien parvenue et la Municipalité en a pris connaissance au cours de sa dernière séance.
   C'est avec un immense soulagement que notre autorité a enfin pu connaître l'endroit où se trouvait cette partie de notre fier massif des Diablerets. En effet, les Municipalités qui se sont succédé depuis la fin de l'ère secondaire se sont dépensées sans compter pour remettre la main sur ce qu'elles estimaient être leur bien. Le temps passant, elles se sont finalement résignées et le compte des "pertes et profits" (en l'occurrence celui des "pertes") a absorbé cette défalcation.
   Aujourd'hui, nous sommes heureux de savoir que ce joyau n'a pas profité à quelque malhonnête entreprise et qu'il était entre de bonnes mains. Il s'était probablement rendu compte, déjà à l'époque, que la proximité de la capitale de ce canton pourrait lui être bénéfique.
   Votre offre généreuse de reprendre notre bien nous touche profondément. Toutefois, étant donné la prescription, nous ne tenons pas à entreprendre une procédure judiciaire au résultat aléatoire, et abandonnons tous les droits de notre commune sur cet objet.
   Par contre, c'est avec grand plaisir que la Municipalité actuelle viendra, à une prochaine occasion, déposer une gerbe du souvenir sur ce qui est devenu votre propriété et prendre, comme gentiment proposé, le verre de l'amitié scellant definitivement notre désistement.
   Veuillez agréer, Monsieur le Syndic et Messieurs, nos salutations les meilleures.

   Signé : Jean-François Moillen, Syndic et Marcel Busset, Secrétaire

    

Voilà, la Municipalité de Belmont face à un autre problème : qu'allait-elle faire de ce "cadeau"?!
La réponse se trouve dans la lettre du 2 mars 1987 qui suit :

1. Lettre du 2 mars 1987

   • de la Municipalité de Belmont-sur-Lausanne

   • à la Municipalité de la Commune d'Ormont-Dessus

   Cérémonie d'inauguration du nouveau Centre communal - acte de cession du "bloc erratique" des Diablerets

   Monsieur le Syndic, Messieurs,

   Nous nous référons à notre échange de correspondances de février 1986 concernant la découverte du bloc précité, ainsi qu'à un récent entretien entre les secrétaires de nos deux communes.
   Tout d'abord nous tenons à vous informer qu'après les problèmes causés par le fameux "caillou" lors des travaux de terrassement, il a été décidé de le laisser intact (ou presque) dans le périmètre du bâtiment et de lui accorder un emplacement de choix après son dégagement.
   Bichonné tel un monument et placé en vue à proximité de la salle de gymnastique, il fera dès lors partie du décor. Nous pensons même qu'il va susciter certaines émulations parmi les élèves et - qui sait ? - la formation des futurs alpinistes. Nous reparlerons alors plus tard de la création d'une sous-section du CAS Diablerets (Club Alpin) à Belmont.
   Pour tout vous dire , nous avons même prévu de dédicacer notre bloc, puisque vous nous l'avez si aimablement légué. Une plaquette, ou "taille" à même le rocher, est à l'étude.
   Ce préambule nous amène donc à vous confirmer notre invitation à participer à la cérémonie d'inauguration du nouveau Centre communal et à la partie officielle et récréative qui a été prévue le samedi 3 octobre 1987.
   Pour la signature de l'acte solennel de cession, la présence de votre Municipalité in corpore est souhaitée, accompagnée de son secrétaire et du boursier. Par ailleurs, nous serions ravis si vous pouviez vous faire accompagner par l'un des orchestres champêtres du lieu avec cors des Alpes, par exemple. Au total, nous convions une quinzaine "d'Ormonans" à venir fêter joyeusement l'évènement, pour lequel nous vous confirmerons les détails le moment venu.
   Il va sans dire que notre commune prendra en charge les frais de déplacement de votre délégation (en car certainement et vous voudrez bien nous signaler éventuellement l'entreprise de votre choix, si vous en avez une).
   C'est avec plaisir que, pour régler l'organisation, nous attendons votre confirmation et nous nous réjouissons d'ores et déjà de vous accueillir le 3 octobre prochain avec tous les honneurs qui vous seront dus.
   Dans cette intervalle, nous vous prions de croire, Monsieur le Syndic, Messieurs, à l'expression de nos sentiments les meilleurs.

   Signé : B. Janin, Syndic et E. Pichard, Secrétaire

2. Lettre du 10 mars 1987

   • de la Municipalité de la Commune d'Ormont-Dessus

   • à la Municipalité de Belmont-sur-Lausanne

   Monsieur le Syndic, Messieurs,

   Votre aimable missive du 2 mars dernier nous est bien parvenue et nous vous en remercions.
   La Municipalité a pris note de la date du 3 octobre prochain fixée pour l'inauguration de votre nouveau Centre communal et c'est avec grand plaisir qu'elle donnera suite en corps à votre invitation.
   Elle sera accompagnée, comme souhaité, par un orchestre bien de chez nous qui prouvera à vos administrés, nous le souhaitons, que les ormonans n'ont pas que de pierres à exporter, mais aussi un folklore bien vivant.
   Quant au déplacement que vous nous avez gentiment offert, nous prendrons nous-mêmes les dispositions nécessaires, tout en vous remerciant de votre attention.
   Nous restons à votre disposition, si besoin est, pour règler certains détails d'organisation et, dans l'attente de cette sympathique rencontre, nous vous prions de croire, Monsieur le Syndic, Messieurs, à l'assurance de nos sentiments les meilleurs.

   Signé : Jean-François Moillen, Syndic et Marcel Busset, Secrétaire

    

Cette sympathique affaire fut close le 3 octobre 1987 par l'acte de cession qui suit.
Vous constaterez, sur les photos, que les armoiries des deux communes ont été gravées à même la pierre.

1. Acte de cession 1987

    

   A l'occasion de cette inauguration, la Municipalité d'ORMONT-DESSUS déclare officiellement faire cession à celle de BELMONT-SUR-LAUSANNE qui accepte, d'un bloc erratique de quelque 70 - 80 tonnes, dont le bulletin de livraison s'est égaré à l'époque glaciaire.

   Belmont le 3 octobre 1987

   Signé : La Municipalité in corpore d'Ormont-Dessus et son secrétaire ainsi que la Municipalité in corpore de Belmont-sur-Lausanne et son secrétaire.

Photo

C'est le début d'une amitié "gravée dans la pierre" qui se traduit par des visites de courtoisie régulières.

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1. Un "Monolithe" de légende - 2014

   La véritable histoire de « Pierre Delaroche », monolithe de légende

   C’est dans les temps anciens, très anciens, que l'histoire que nous allons vous conter a pris naissance un jour …

   Tout a commencé il y a 125 millions d'années, quand « Pierre Delaroche » décida de quitter sa montagne pour partir à l'aventure avec l'aide de son ami le glacier qui s'étendait à perte de vue. Après une longue et épuisante balade, « Pierre Delaroche », décida de se reposer … Il se trouvait si bien dans le petit nid douillet qu’il s’était trouvé, qu’il s’y endormit … longtemps !
   Puis voilà que tout autour de lui se construisit un petit village, qui après diverses appellations, devint « Belmont-sur-Lausanne ».
   « Pierre » se trouvait très bien dans son village d’adoption, sentant la proximité du beau Léman et du vignoble de Lavaux. Il restait caché, sous la terre, de peur qu’on ne le renvoie dans ses montagnes.
   Puis voilà qu’à l’été 1985, des bruits sourds le réveillèrent brusquement ! Que se passe-t-il ? Qui se permet de troubler son sommeil ? Pauvre « Pierre », son coin si tranquille a été choisi pour y construire « la Maison de commune » et une salle de gymnastique. A fin décembre 1985, les bruits sont maintenant sur lui et de grosses machines, aux mâchoires d’acier, tentent de le déloger mais en vain ; « Pierre » est bien accroché.
   Mais d’où vient ce « rocher » ? que faut-il en faire ? Les Autorités de l’époque décident d’en remettre un échantillon au Musée géologique de Lausanne pour examen.
   C'est le 27 janvier 1986 que la réponse arrive du Musée géologique, ce bloc erratique est un calcaire d’âge urgonien du crétacé inférieur, période géologique située à la fin de l’ère secondaire (3ème division du temps géologique), succédant au primaire d'une durée de 125 millions d'années. Il provient directement des hautes alpes calcaires, au lieu-dit « des massifs de l'Argentine », aux Diablerets !!!!
   La Municipalité de Belmont, abasourdie, décide d'écrire, le 3 février 1986, à sa collègue de la Commune d'Ormont-Dessus en lui relatant les faits : « … Eh bien ! dire que votre commune a perdu depuis si longtemps un joyau si précieux - c'est vraiment terrible. En séance de Municipalité, nous avons décidé de vous rendre grande justice en vous invitant chaleureusement à venir rechercher votre patrimoine égaré, odieusement séquestré par notre sous-sol glouton. Oui, Messieurs et chers collègues, décemment nous ne pouvons plus longtemps garder ce qui ne nous appartient pas. Venez récupérer votre bien. Peut-être, avant, une visite s'impose sur le site, car l'objet, d'une densité de plus de 2,6, est estimé à 30 m3 au moins et pèse entre 70 et 80 tonnes… »
   La réponse de la Municipalité d'Ormont-Dessus ne se fait pas attendre puisqu’elle arrive à Belmont 7 jours plus tard : « … Aujourd'hui nous sommes heureux de savoir que ce joyau n'est pas entre de mauvaises mains et, étant donné que pour nous, et les Municipalités successives qui ont recherché mais en vain, ce fugueur, il y a prescription, c'est avec un grand plaisir que nous vous en faisons cadeau. Naturellement suite à votre proposition nous viendrons avec joie boire le verre de l'amitié, et sceller définitivement notre désistement… »
   Voilà, la Municipalité de Belmont face à un autre problème : qu'allait-elle faire avec ce "cadeau" ? Et bien après mûre réflexion, elle décide de le mettre en valeur en lui accordant une place de choix. Bichonné tel un monument et placé en vue à proximité de la salle de gymnastique, il fera dès lors partie du décor.
   Depuis lors, les armoiries des deux communes ont été « tatouées » à même la « peau de Pierre » et une plaque « historique » lui est dédiée.
   Et c'est ainsi que notre ami « Pierre Delaroche », devenu monolithe de légende, restera à jamais le gardien du centre communal … On dit même que celui qui caresse « Pierre », à un endroit bien précis, verra se réaliser ses rêves les plus fous... Comme dans toutes les légendes, il suffit d’y croire..!!!

   Confidence : ne parlez plus de lui en le traitant de simple « caillou », cela le perturbe et l’afflige ; par contre dès que vous prononcez « Monolithe », il frissonne de joie (dixit un fervent défenseur de « Pierre »)

   
   Jacques Malandrini et Isabelle Fogoz
   Texte écrit en 2014 à la demande de la Municipalité de Belmont pour le livre réalisé à l'occasion du 850ème anniversaire de la Commune de Belmont.